#II REVU –  texte supplémentaire

Espace de vie de la bataille / Lukas Birk

Dans la famille de M. X, collectionner des armes à feu n’est pas seulement une tradition ; c’est une passion familiale. Avec une collection qui remonte à l’époque romaine, M. X a toujours eu un vif intérêt pour la période des armes à feu plus industrialisées. L’idée qu’un soldat puisse tenir un ancien outil de guerre comme un sabre dans une main et un mousquet dans l’autre a enthousiasmé M. X durant son adolescence. À vingt ans, il avait agrandi la collection familiale et décidé de créer des expositions élaborées dans l’un de ses châteaux, juste avant les grandes guerres.

La guerre a souvent été décrite comme l’entreprise la plus rentable, une marchandise en soi qui alimente les moteurs de l’industrie et du commerce. Derrière la rhétorique du patriotisme et de la défense nationale se cache une réalité : la guerre est un gros business, avec des fortunes colossales à gagner dans la production d’armes, d’équipements et de technologies militaires. M. X en était pleinement conscient et fonda sa propre entreprise d’armement, produisant principalement des pistolets semi-automatiques. Bien que son armée nationale n’ait pas résisté à l’envahisseur maléfique, celui-ci avait aussi besoin d’armes, donc les affaires étaient bonnes malgré tout. Les gagnants savent comment réussir même lorsqu’ils perdent. Mais assez parlé de cela ; visitons le château de M. X.

Dans l’aile nord, vous trouverez la pièce maîtresse : un canon qui est resté au fond de la mer pendant 141 ans, récupéré de Saint-Vaast-la-Hougue. Il faisait partie de l’armement de l’un des 12 navires de l’amiral Courville, brûlé le 1er juin 1692 et remonté en août 1833. De chaque côté du canon se trouvent deux mitrailleuses de 1870 et deux cloches chinoises de l’expédition de Chine de 1884 (Photo 1).

Dans l’aile sud, à chaque extrémité, se trouvent deux canons allemands fabriqués par Krupp (encore aujourd’hui l’un des meilleurs fabricants d’armes), pris en Chine en 1884. Au centre se trouve un fusil anglais (modèle 1846). Au-dessus, une imitation de l’épée de Charlemagne composée de vieux morceaux d’armes, avec à chaque extrémité des répliques de la croix de chevalier de la Légion d’honneur et de la croix d’officier de la Légion d’honneur, également faites de vieux morceaux d’armes (Photo 2).

Le manoir présente aussi des installations humoristiques telles qu’un cyprès fait de poignards de marine (Photo 3), une gerbe formée de crosses de fusil (Photo 4), de jolis bouquets de baïonnettes (Photo 5), et des palmiers façonnés comme des lames de sabre, avec un tronc composé de poignards (Photo 6).

M. X est décédé en 1996 sans héritiers. Il était connu pour défendre, jusqu’à son dernier souffle, le besoin des armes. « La guerre fait partie de l’humanité. Si les humains ne se battent pas, comment peuvent-ils progresser ? », disait-il souvent.

Voici une partie de sa biographie, plutôt courte, franche et très impopulaire : « Le flux et le reflux entre la guerre et la paix est une danse intemporelle que l’humanité exécute depuis des siècles. C’est comme un tango cosmique, où nations et individus tournoient entre moments de conflit et de sérénité, chaque pas résonnant à travers les annales de l’histoire et des affaires mondiales contemporaines. J’ai toujours été fasciné par l’idée de collecter les vestiges de cette partie de l’histoire humaine et de les transformer en quelque chose que nous pouvons admirer. Une œuvre d’art, pourrait-on dire. Une transformation qui nous fait prendre conscience que la guerre fait partie de nous, même en temps de paix.

Aujourd’hui, dans l’arène mondiale, le rythme de cette danse a clairement changé. J’ai 90 ans. Les tensions géopolitiques bouillonnent comme jamais auparavant. Les profits de l’armement ont tellement augmenté que je réalise combien j’étais un petit joueur à l’époque. Aujourd’hui, des pays déclenchent des guerres entières de manière passive pour promouvoir leurs intérêts politiques, sous couvert de liberté. Les gens ne savent même pas pourquoi ils se battent ; c’est ainsi que la propagande fonctionne.

En temps de paix, comme en Europe aujourd’hui, les humains oublient souvent les souffrances endurées pendant les périodes de conflit. Les cicatrices de la guerre s’estompent dans la mémoire collective alors que les sociétés se concentrent sur le progrès et la prospérité. Réconfortés par l’illusion de stabilité, les gens deviennent complaisants, négligeant les leçons de l’histoire et la situation de ceux encore affectés par la violence et l’injustice. Pourtant, sous ce vernis de tranquillité, les graines de la discorde persistent, attendant de germer à nouveau lorsque la mémoire collective de l’humanité s’effacera une fois de plus, et que le spectre du conflit relèvera sa laide tête. Je vous avertis, jeunes. Un jour, vous verrez ce que j’ai vu, et vous devrez faire des choix… »

Il ne reste plus grand-chose du legs de Monsieur X. Sa société a été rachetée, et sa mémoire est presque oubliée. Pourtant, ici, nous conservons les traces photographiques de l’un des grands collectionneurs d’armes d’Europe, qui a fait de la bataille un espace de vie.